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Chapitre 2 La flamme de la vie

Dernière mise à jour : 16 sept. 2019

Chapitre 2


On frappe à sa porte. Lana sursaute, peu habituée à ce que l’on vienne la chercher en ce lieu. Sa chambre est un havre de paix qu’elle a eu le privilège de pouvoir avoir individuelle. Rares sont ceux qui s’aventurent jusqu’à son antre. Péniblement elle s’extirpe de son lit pour aller ouvrir. Sa tête tambourine toujours doucement, mais le plus gros de la crise est passé. Ses muscles tremblent un peu sous la sollicitation, courbaturés des crispations encourues. Lana entrebâille la porte. Avec étonnement elle trouve un jeune homme à peine plus âgé qu’elle. Surement un étudiant de première année.

— Miss Burington ? s’enquiert-il en se triturant les mains.

Définitivement un primant. Le peu d’assurance de son ton ne trompe personne. Lana met fin à son supplice.

— Bonne pioche, plaisante-t-elle pour détendre l’atmosphère.

Cela ne fait pas rire le jeune homme qui doit livrer un important message.

— Le directeur vous attend dans son bureau. Cela semble assez urgent.

Elle le remercie d’un sourire crispé. Il n’en faut pas plus pour qu’il se sauve la laissant seule dans sa chambre, pleine d’interrogations. La porte refermée, Lana attrape une laine chaude pour contrer la fraicheur de ce mois de janvier et prend le chemin du bureau directorial. Les raisons de cette convocation lui sont obscures. Elle qui n’est jamais sollicitée commence à spéculer. A chaque pas des questions tournent dans sa tête. Que peut bien lui vouloir le directeur ? Est-ce ses parents qui l’ont appelé ? Peu probable, leur dernière lettre ne montrait rien d’inquiétant. Elle ne parvient pas à cerner ce qui va lui être annoncé. L’angoisse monte à chacun de ses pas, et son estomac se noue. Un mauvais pressentiment s’insinue peu à peu en elle. Ses jambes accélèrent. Elle se met à courir.


Un petit homme aux rares cheveux blancs comme neige lui ouvre son bureau. Le directeur est un homme dans la force de l’âge, il a déjà vécu suffisamment pour remplir plusieurs vies. Erudit, il se tient vouté par des heures passées courbé devant une pile de livres. Son éternel gilet de laine porté au-dessus d’une chemise à carreaux, ainsi que sa moustache blanche marquent la mode d’une autre époque, vestiges des traditions écossaises. Derrière ses petites lunettes métalliques, ses yeux pleins de sagesse résonnent aujourd’hui de tristesse.

Lana pénètre dans la pièce où s’éparpillent livres d’époque et papiers administratifs. Le directeur n’est pas un homme organisé. Un massif bureau de chêne accompagné de son fauteuil et de deux sièges destinés à ceux que l’homme reçoit complètent la pièce. L’un de ses fauteuils est d’ailleurs occupé par Monsieur Parker, que la jeune fille ne reconnait pas immédiatement. Son professeur est avachi, se confondant presque avec le mobilier sur lequel il se trouve. Sa prestance qui rend ses cours si dynamiques s’est envolée. Il n’a plus rien du remarquable enseignant mais tout d’un homme désemparé. Ses cheveux brun attachés en cadogan volent dans tous les sens, comme s’il se les était tirés. Ses yeux d’obsidiennes sont rougis par des larmes qui sillonnent encore le long de ses joues creuses. Il ne lève même pas la tête à son entrée.

Le bureau est plongé dans une atmosphère lugubre qui ne la rassure en rien. Que s’est-il donc passé ici ? Son mauvais pressentiment se renforce. D’une main tremblante, le cœur tambourinant, elle prend la lettre que le directeur lui tend sans un mot. Sous son pull, son cœur accélère. Elle la décachète frénétiquement, anxieuse de savoir ce qu’elle contient. Le papier se froisse. Dans un geste saccadé elle se résout à la déplier, retarder ce moment n’effacerait pas l’inévitable qu’elle sent se profiler. Elle sort d’abord une photo qu’elle reconnait instantanément. C’est Emma, sa meilleure amie et elle-même. Le cliché récent date des fêtes de fin d’année où toutes deux séparées par des centaines de kilomètres ont pu se retrouver, pour partager cette ambiance si particulière du passage au nouvel an. Sur le dos de la photo une phrase tracée de l’écriture fine d’Emma. Quelques mots qui font chavirer son cœur. Sa vue se brouille et elle ne peut retenir un hoquet.

Impossible ! Elle s’est trompée, il y a erreur. Oui c’est ça, sa vue doit lui jouer des tours. La bile remonte dans sa gorge. Elle se force à déplier la lettre qui accompagne le cliché, et commence sa lecture avec l’espoir fou d’avoir mal interprété.

*

Ma précieuse Lana,


Cette nouvelle va surement t’assommer autant qu’elle te bouleversera. Hier encore nous parlions, programmions nos futures vacances. Celles que nous attendions toutes deux avec empressement. Pourtant aujourd’hui je commets l’irréparable et mets fin à cet espoir. Puisses-tu pardonner mon geste, et ce que je vais te faire endurer.

Je suis à bout, je n’en peux plus. Je ne supporte plus cette douleur, je n’arrive plus à la combattre. La peur d’une nouvelle crise me hante, l’attente me tétanise. Je ne suis pas si courageuse que vous le disiez. Je sais que pour toi aussi c’est difficile, je connais ta souffrance et la boule au ventre que tu as quand tu sais que la crise est là, tapie quelque part. Je suis aussi passée par ce stade. Mais n’en as-tu pas marre de te demander chaque jour si elle sera supportable, si tu ne vas pas finir ta journée roulée en boule, assommée par des antalgiques aux effets plus ou moins probants ?

Je sais que tu me répétais inlassablement que la science évoluait, que les chercheurs faisaient de nouvelles découvertes. Sans doute me le redirais-tu si je me tenais face à toi, mais verrons-nous vraiment le bout de ce médicament miracle ? Mon espoir flétrit davantage chaque jour. Toi qui m’as souvent trouvée trop impatiente, on dirait bien qu’encore une fois cette patience me fait défaut. Désolé mais tu vas devoir attendre seule.

Je me rappellerai tous ces moments passés ensembles. Notre rencontre lorsque l’on avait sept ans. Toutes deux migraineuses depuis notre plus jeune âge, sans aucune raison à ces crises. Un vrai mystère pour la médecine. Toutes deux avec un Q.I supérieur à la moyenne. Des génies disait-on. Une autre raison à notre si forte amitié. Des génies ? Peut-être, mais avec un fardeau si lourd à porter que je regrette de ne pas avoir été ordinaire. Peut-être notre vie aurait-elle été différente ? A croire que tous les génies ont leur malédiction.

A seize ans, nos vies se sont séparées. Tu m’as abandonnée, mais je ne t’en veux plus. Sur le coup j’ai juste été triste. Tu t’es envolée pour l’Ecosse dans une prestigieuse université. Partie tenter de donner naissance à ce médicament miracle auquel tu croyais tant. Nous nous écrivions souvent mais rien n’était pareil. L’un de mes regrets sera de ne pas avoir pu rencontrer tes deux amis, Sasha et Jimmy. Tu me parlais d’eux avec tant d’enthousiasme. Au fond je te jalousais d’avoir su construire une vie loin de moi. Sans moi.

Je t’ai également questionné à de nombreuses reprises au sujet de mon oncle. A chaque fois que je t’en parlais, tu détournais la conversation, crois-tu que je n’avais pas remarqué ton petit manège ? Je me doute que là-bas il doit être froid, distant, un peu sévère, comme tout bon pédagogue, alors qu’avec moi il est si compréhensif, si chaleureux. Tu sais, l’amour qu’il me porte est incommensurable. Il a souvent pris soin de moi quand mes parents étaient dépassés, s’il y a une personne qui pourrait t’aider et te comprendre c’est lui. Mon geste lui fera sans doute aussi mal à lui qu’à toi, alors veillez l’un sur l’autre.

Je ne demande ni ton pardon, ni ta compréhension. Ne t’en veux pas, tu n’aurais pas pu prévoir mon geste, ni l’empêcher. Grâce à toi j’ai surmonté de nombreuses épreuves, bien plus que je n’en aurais été capable seule. Si tu n’avais pas été à mes côtés pour me soutenir je serais morte depuis bien longtemps. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Je suis sûre que nous nous retrouverons un jour, mais pas tout de suite, tu as encore tant d’aventures à vivre. Sois courageuse et vis pour nous deux. Prouve à Dieu qu’il n’a pas encore gagné. Prouve-leur que l’on peut surmonter la maladie. Pour moi c’est trop dur, je ne suis pas aussi forte que vous ne le pensiez. Aujourd’hui je vais être égoïste, c’est à moi que je vais permettre de cesser de souffrir. Tu vas devoir continuer le combat toute seule, je ne suis plus de la partie.

Pardonne-moi d’être si fatiguée, je vais aller dormir. Je veillerai sur vous de là-haut. Ne pleurez pas mon départ, car il résonne en moi comme une délivrance. En ma mémoire et à nos rires partagés, ne perds pas l’espoir.


Emma Parker, ta fidèle amie

*

— Non ! hurle sa conscience.

Inadmissible. Ce n’est qu’une mauvaise plaisanterie. Emma ne peut pas lui faire ça ! Elle l’attend à Londres avec leurs amis. Elle prépare la Saint-Valentin entourée des gens qui l’aiment. La lettre se froisse dans sa main, ses doigts se crispent autour du papier. Elle inspire profondément mais sa respiration se mue en sanglots enroués. L’enveloppe tombe par terre sans qu’elle ne la ramasse. Elle ne la remarque pas.

— Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?

Elle cherche une confirmation qui ne viendra pas. Le directeur s’approche d’elle, compatissant.

— Nous sommes navrés qu’une telle tragédie se soit passée Miss Burington.

Lana se dégage violemment. Elle n’entend plus rien. Elle ne veut pas voir son air empli de pitié. Il n’a pas le droit d’éprouver de tels sentiments. Il ne connait rien à leur vie. Emma est pour lui une parfaite inconnue.

— Vous mentez, Emma est toujours vivante, nie-t-elle férocement.

— Miss, faites face à l’évidence. Votre amie a été retrouvée morte ce matin.

— Non ! C’est faux, je ne vous crois pas !

— Arrêtez Lana, vous vous faites du mal.

La voix cassée de son enseignant la stoppe net.

Obnubilée par la lettre elle en a oublié la présence de Monsieur Parker. L’air dévasté de l’homme l’oblige à admettre l’inévitable. Elle ne peut plus se voiler la face. La peine de l’homme est trop grande pour être imaginaire. Sa nièce chérie vient de décéder. Le réfuter ne sert à rien, si ce n’est à remuer des plaies trop récentes.

Cette prise de conscience bouleverse Lana. Le sol se dérobe sous ses pieds, sans rien à quoi se raccrocher. Sans sa lumineuse amie plus rien ne sera pareil. Elle n’a pas le droit de l’abandonner. Pourquoi ? Mourir si jeune n’est pas permis, la mort enlaidit tout. Elle ne peut pas partir, pas alors qu’elles ont encore tant à partager, à découvrir, à vivre ! Ses sanglots redoublent d’intensité alors que les larmes se mettent à dégouliner sur son visage, sans qu’elle ne cherche à les retenir. Ses jambes déjà flageolantes finissent par céder. Elle se retrouve à genoux sur le tapis évacuant sa peine en hoquets rauques, son corps secoué de spasmes. Ses poings heurtent le sol dans un bruit sourd. Pourquoi ? Pourquoi !

Des voix lui parviennent à travers son brouillard de tristesse. En est-ce réellement ? Que disent-elles ? Elle ne sait plus ce qu’elle ressent. Tout est si confus. Son professeur et le directeur s’entretiennent à voix basses. Qu’importe ! Sa raison de vivre, de se battre vient de se volatiliser. A quoi bon continuer ?

On la frictionne, à peine consciente que son corps est glacé. Elle reconnait Monsieur Parker qui tente de la relever. Automatiquement elle fait de son mieux pour l’aider, avant de le suivre docilement. Son cerveau se déconnecte et son corps obéit à ses instincts primaires. Elle cherche inconsciemment un réconfort, qui à cet instant émane de cet homme. Elle ne s’étonne qu’à peine lorsqu’il la conduit à sa voiture. De toute manière plus rien n’a d’importance. Le froid de la nuit l’assaille. Elle tremble violemment. L’homme l’emmitoufle dans une couverture. Sa chaleur ne suffit pas à stopper ses spasmes. L’émotion conjuguée à la fraicheur a raison d’elle. On la pousse sur le siège passager.

Le véhicule prend la route sans bruit. Par le pare-brise Lana distingue la lune qui brille dans sa rondeur, les étoiles dansent autours d’elle. La chaleur lui monte à la tête, tout s’embrouille, elle perd pied et se laisse emporter par le tourbillon de sa mémoire.

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